Dans une récente note en ligne, deux consultants de McKinsey (société de conseil auprès des directions générales) proposent aux chefs d’entreprise les nouvelles pièces essentielles au puzzle de « l’après-coronavirus ».
Dans une récente note en ligne, Kevin Sneader et Shubham Singhal, deux associés du cabinet de conseil en stratégie McKinsey, soumettent une liste d’éléments à prendre en considération pour aborder l’après-Covid-19. Au total, 7 pièces, toutes essentielles au puzzle que devront assembler les dirigeants d’entreprise pour préparer l’avenir.
1. Reconsidérez le concept de distance
L’essor des nouvelles technologies et des télécommunications a modifié les modes de travail et considérablement réduit l’importance de la proximité physique. Au milieu des années 1990 s’est développée l’idée d’une « fin de la distance », avec un flux d’informations devenu bon marché, des chaînes d’approvisionnement mondiales destinées à livrer des produits juste à temps de manière routinière, expliquent les consultants. Le commerce transfrontalier et le tourisme ont atteint des sommets.
Puis, ici et là, des signes de malaise vis-à-vis de la mondialisation se sont exprimés, avant même que la crise sanitaire ne frappe … Aujourd’hui, plus de trois milliards de personnes vivent dans des pays dont les frontières sont totalement fermées aux non-résidents : 93 % sont issus de nations qui ont imposé de nouvelles limites d’entrée, en raison du coronavirus. « Les touristes reviendront et les frontières rouvriront, mais il est possible que l’on ne retrouve pas la situation précédente », avertissent les consultants qui n’excluent pas des restrictions aux frontières.
Un tel contexte déboucherait sur une préférence pour les produits et services locaux, avec renouvellement des chaînes d’approvisionnement visant à les rapprocher des marchés finaux, sans parler d’une résistance renouvelée à la mondialisation.
Ainsi, quand bien même la technologie continuerait de réduire la distance physique, ce pourrait être un élément à reconsidérer dans les stratégies d’entreprise et dans la construction des chaînes d’approvisionnement.
2. Montrez-vous résilient
Suite au déconfinement, les entreprises vont devoir trouver de nouvelles façons de fonctionner. Pour Kevin Sneader et Shubham Singhal, « la clé de la survie et de la prospérité à long terme » repose dans leur résilience, cette capacité à absorber un choc pour ensuite rebondir.
Les recherches de McKinsey sur la crise financière de 2008 ont révélé qu’un petit groupe d’entreprises issues de chaque secteur avaient surperformé leurs pairs. Comme les autres, leurs revenus avaient baissé par rapport à la moyenne de l’industrie, mais elles avaient récupéré beaucoup plus rapidement que leurs concurrentes. En 2009, les bénéfices de ces résilientes avaient augmenté de 10 %, quand les non-résilientes accusaient une baisse de près de 15 %. Les caractéristiques de celles qui s’en sont sorties ? Des bilans plus solides avant la crise et une efficacité dans la réduction des coûts d’exploitation, en particulier.
« Ce conseil est toujours valable, mais insuffisant », avertissent les auteurs de la note. Les entreprises vont devoir repenser leur modèle commercial ainsi que le fonctionnement de leurs chaînes d’approvisionnement, alors qu’elles se retrouvent en position de vulnérabilité parce qu’elles ne peuvent pas disposer des pièces dont elles ont besoin.
Autre élément à revoir : les plans de succession dont la faiblesse par ces temps de crise sanitaire a été pointée par le Wall Street Journal. Lorsque les dirigeants tombent malades, les entreprises font la douloureuse expérience de vite comprendre que la préparation de la relève doit dépasser le comité exécutif. « Les investisseurs sont susceptibles de trouver des moyens d’intégrer plus systématiquement la résilience dans leurs évaluations », pointent Kevin Sneader et Shubham Singhal.
Après la prise en compte des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance dans l’évaluation d’une entreprise, le sujet de la résilience vis-à-vis des chocs extérieurs (pandémies, risques climatiques, écologiques, etc.) est à prendre en considération, au même titre que la réflexion stratégique, avertissent ces derniers.
3. Intégrez la montée en puissance des technologies et de l’automatisation
La pandémie pourrait marquer un tournant décisif pour trois domaines particuliers : le commerce électronique, la télémédecine et l’automatisation .
Le coronavirus a accéléré le changement des habitudes d’achat. En Europe, 13 % des consommateurs ont déclaré, début avril, qu’ils prévoyaient de parcourir les e-commerçants en ligne pour la première fois. En Italie, les transactions de commerce électronique ont augmenté de 81 % depuis fin février.
Les chiffres de la télémédecine et de la santé virtuelle sont tout aussi frappants. La France et la Corée ont toutes deux modifié la réglementation pour faciliter l’accès à la télémédecine. Teladoc Health, le plus grand service de télémédecine autonome des Etats-Unis, a signalé une augmentation de 50 % de ses services au cours de la semaine se terminant le 20 mars. Le suédois KRY International, l’un des plus grands fournisseurs européens de télésanté, a de son côté indiqué que les inscriptions avaient augmenté de plus de 200 %.
A chacune des trois crises des 30 dernières années, le rythme de l’automatisation a passé un palier, selon le think tank américain Brookings Institution. Fin 2017, le McKinsey Global Institute estimait que 60 % des emplois pourraient voir plus de 30 % de leurs tâches clés automatisées. Un tribut mondial à l’emploi de 400 à 800 millions de postes d’ici 2030, évaluait-il. « Il devient possible d’imaginer un monde des affaires – de l’usine au consommateur individuel – dans lequel le contact humain est minimisé », expliquent les auteurs, précisant « mais pas éliminé ».
4. Prenez en compte une variable de poids : le rôle des Etats
En période de grande crise, lors de la Seconde Guerre mondiale notamment, les citoyens se sont montrés plutôt disposés à accepter un plus grand contrôle gouvernemental de l’économie.
Au 10 avril dernier, les gouvernements du monde entier avaient déjà annoncé des plans de relance d’un montant équivalent à… huit plans Marshall ! À mesure que les gouvernements se mobiliseront pour servir ou sauver le secteur privé, les moyens qu’ils choisiront varieront. Certains pays nationaliseront, d’autres prendront des participations, certains accorderont des prêts et d’autres encore choisiront davantage de réglementations.
Comme l’a déjà écrit McKinsey, dans le contexte du changement climatique, rappellent les auteurs, « les coûts énormes consécutifs au fait d’être le payeur, le prêteur et l’assureur de dernier recours peuvent inciter les gouvernements à jouer un rôle beaucoup plus actif pour assurer la résilience ».
Les chefs d’entreprise devront s’adapter au mouvement. Mais surtout, à un moment donné, « les gouvernements peuvent décider de se retirer des affaires. La façon dont ils le feront sera compliquée et différenciée. Combien, à quelle vitesse et de quelles manières les Etats réduisent leur rôle économique, telles seront les questions les plus importantes de la prochaine décennie », écrivent-ils
5. Préparez-vous à devoir répondre à cette question : « qu’avez-vous fait pendant crise sanitaire ? »
Après l’expérience de la crise de 2008 et les griefs à l’encontre des institutions financières, les citoyens ne manqueront pas, après le Covid-19, d’exiger que leur argent soit utilisé au profit de la société dans son ensemble. Conscients qu’ils seront appelés à régler, d’une façon ou d’une autre, à régler les 10,6 billions de dollars engagés.
Cela va soulever des questions pour les entreprises, alors même que leur seule valeur actionnariale commençait déjà, dès avant la crise, à être remise en cause de part et d’autre de l’Atlantique. L’idée d’un « triple résultat », qui lie profit, personnes et planète, se développe alors que les fonds d’investissement socialement responsables montent en puissance.
L’utilisation que de nombreuses entreprises bénéficiaires d’aides feront de l’argent public sera scrutée, avertissent les consultants. « Cela pourrait se manifester par une réglementation accrue, notamment sur l’approvisionnement national (pour favoriser les filières nationales – NDLR) et la sécurité de la main-d’oeuvre. Comme le coronavirus révèle ou renforce la sensibilisation aux fractures sociales, les entreprises devront prendre part à la recherche de solutions à long terme », expliquent-ils. Et d’ajouter, que comme après la Seconde Guerre mondiale, la question qui se posait était « Qu’avez-vous fait pendant la guerre ? », les gouvernements et les entreprises pourraient bien être soumis à un examen similaire. Les dirigeants doivent garder le sujet en tête.
6. Prévoyez changements et repositionnements sur votre marché
L’une des principales questions que se posent les chefs d’entreprise est de savoir si leur industrie va rebondir. Santé, utilisation des données personnelles, épargne… Des changements durables sont à prévoir dans les attitudes des consommateurs . Les Millenials et la génération Z en particulier pourraient profondément modifier leur consommation de voyages. La liste des interrogations quant au comportement des consommateurs après la crise est longue. Il est, par exemple, raisonnable de se demander si les positions existantes sur le marché seront maintenues sans effort significatif pour se repositionner et réagir aux changements. Le secteur automobile, par exemple, sait d’ores et déjà qu’il lui faut revoir ses chaînes d’approvisionnement mondiales en juste à temps.
7. Exploitez, pour demain, les nouvelles pratiques nées durant la crise
Les individus, les communautés, les entreprises et les gouvernements, tous s’accommodent de nouvelles façons de communiquer et de se connecter. Et de nombreux aînés sont passés à Skype ou FaceTime pour garder le contact.
Les entreprises, qui ont appris à fonctionner à distance, instaurent ainsi des pratiques qui pourraient permettre ensuite de progresser dans l’emploi de personnes handicapées et de profils atypiques, estiment les deux consultants. « Les chefs d’entreprise ont désormais une meilleure idée de ce qui peut et ne peut être fait en dehors des processus classiques », écrivent-ils. Beaucoup commencent à apprécier la vitesse avec laquelle leurs organisations peuvent évoluer, une fois leur façon de procéder changées. Le coronavirus impose à la fois le rythme et l’échelle de l’innovation en milieu de travail . Obligées de faire plus avec moins, beaucoup d’entreprises finissent par trouver des manières de mieux fonctionner.
« L’optimisme est un vrai courage moral », a écrit l’explorateur britannique Ernest Shackleton. Contre toute attente, il se pourrait que les décisions prises pendant la durée de cette crise conduisent à une explosion d’innovation et de productivité, à des industries plus résilientes, à un gouvernement plus intelligent à tous les niveaux et à l’émergence d’un monde reconnecté. Dirigeants, soyez optimiste et surtout courageux , deux qualités plus que jamais nécessaires pour prendre les décisions qui façonneront les prochains business models.
21/04/2020 -